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Prejugix

Le rire c'est la santé

  • Le Dim 13 août 2017

Le rire, antidote au stress et booster du système immunitaire, a de nombreuses vertus. Et s'il n'est pas -encore?- remboursé par la Sécurité sociale, il est apprécié à l'hôpital, en maisons de retraite, en entreprise et de plus en plus dans la vie de tous les jours.

Jean-Marie Bigard n'a pas eu à forcer son talent pour endosser son rôle dans le dernier film de Claude Lelouch, Chacun sa vie. L'humoriste aux sketchs volontiers crûs joue un médecin militant de la thérapie par le rire. «Le meilleur des médicaments» à ses yeux.

En 1998, Robin Williams - docteur Patch dans le film du même nom - avait déjà fait un carton au box-office américain dans cette comédie dramatique inspirée par la vie du fondateur de la première clinique basée sur l'humour.

À l'hôpital Trousseau, pourtant, le rire n'est pas une fiction, mais une réalité depuis vingt-cinq ans. Et ce ne sont pas les patients, ni leurs proches, et encore moins les soignants de cet établissement pédiatrique de l'AH-HP de l'est parisien qui s'en plaindraient.

Plaquée sur les grilles extérieures de l'hôpital, une mosaïque de portraits hilares du microcosme de Trousseau, signés Le LOL Project, accueille le visiteur. À l'intérieur, le mardi et le jeudi, c'est la journée des clowns. Avant d'entamer leur tournée, Emmanuelle et Michel, tous deux membres du Rire médecin - l'une des principales associations de clowns hospitaliers rémunérés - font le point sur l'état de santé de leur jeune public avec les infirmières. Malgré la forte activité matinale, ils sont reçus avec le sourire par cette jeune armada vêtue de blouses bleues et chaussée de Crocs colorés. Dix minutes plus tard, retour d'Emmanuelle et Michel à leur mini-loge pour se maquiller et enfiler leur tenue de scène. Toujours la même: une robe à volants orange, vert anis et noirs sur un collant turquoise pour Z'el Printemps/Emmanuelle et, pour Jules/Michel, une chemise rouge vif avec les chaussettes assorties et un pantacourt crème. Sans oublier, bien sûr, l'incontournable nez rouge. «C'est important pour les enfants, un repère», explique Z'el Printemps en secouant sa longue tresse violette. En revanche, aucun numéro ne se ressemble. L'improvisation est la règle, en mêlant le mime, la magie, les marionnettes, la danse, etc. Le plus sûr moyen de déclencher un sourire, voire ce rire si salvateur d'un public de 2 à 17 ans venu de tous horizons.

Premier arrêt dans une tournée qui en compte 20 à 30 selon les jours: Eric, 13 ans, les lunettes rivées à son ordinateur, lève à peine le nez. Le tandem tente de l'amadouer en demandant à son soi-disant «avocat" la permission de se produire. Peine perdue. Au bout de trois minutes, nos clowns font marche arrière, non sans avoir quand même réussi à arracher l'ombre d'un sourire au jeune patient. Si Eric est un spectateur difficile, son refus est jugé positif: «Le jeune exprime sa volonté dans un environnement qu'il subit, il construit ainsi sa résilience», analyse Jules. Une résilience clé dans la guérison. Le deuxième patient s'annonce plus facile. Les visages de Léo, 15 ans, et de sa mère, s'éclairent à l'entrée des clowns. Z'el Printemps propose le mariage à Leo. Enchanté, il la renvoie vers sa mère pour régler les détails de la fête - «une affaire de femmes» à ses yeux - et tout le monde rigole bien. À ce moment-là, il n'y a plus un malade, mais un ado qui partage un bon moment avec sa mère et des amis. «Les clowns recréent le lien social entre parents et enfants dans un contexte hospitalier qui peut les en éloigner", constate Céline Salvador, la jeune psychologue du service.

10 minutes de rire =30 minutes d'aviron

Les infirmières en témoignent, les soins sont plus faciles à donner lorsque les clowns sont là. L'attention du cerveau se déporte sur le sketch, réduisant la perception de la douleur ou l'appréhension du soin. L'explication est à la fois physique et psychologique. Spasmes respiratoires, massage de l'abdomen, contraction du diaphragme, mouvements d'une quinzaine de muscles du visage... le rire provoque tout le long du corps une cascade de réactions mécaniques favorisant l'oxygénation du sang, la réduction du taux de cortisol (stress), la sécrétion d'endorphines (hormones du «bonheur») et le renforcement du système immunitaire. C'est le moyen le plus rapide de mobiliser le maximum de neurones simultanément. Parmi les antidotes contre le stress, le rire est certainement le plus rapide, le plus accessible à tout le monde dès le plus jeune âge. Dix minutes de rire à gorge déployée est un exercice physique aussi efficace que trente minutes d'aviron, selon le docteur Williams Fry de l'université de Stanford. Avec des contre-indications très limitées. Largement partagée, cette capacité s'étiole avec l'âge. Si les bébés rient en moyenne 300 à 400 fois par jour (!), les adultes les plus performants peinent à dépasser la douzaine!

Tel un muscle, le rire s'entretient. Marianne, cadre dans un groupe pharmaceutique et fan inconditionnelle du Docteur Patch, en est bien consciente. Le rire est pour elle une véritable bouffée d'air. Depuis quatre ans, elle participe une fois par mois à des séances de yoga du rire organisées par une adepte de la méthode du médecin généraliste indien Madan Kataria et de son épouse, professeur de yoga. «Le rituel est toujours le même, explique-t-elle... Souriante! Après dix minutes d'échauffement musculaire, les participants sont invités à reproduire des saynètes d'une minute chacune sur un thème variable, les saisons, le cirque ou Noël, jouées initialement par l'animatrice. Le principe est de se regarder dans les yeux, de croiser une à plusieurs fois chaque participant, tout en se déplaçant dans la salle, mais sans parler. Enfin on passe au rire spontané." Allongés en étoile, la tête au centre, les participants sont alors suffisamment détendus pour rire de tout et de rien, et s'alimenter des trilles des voisins, où dominent les voyelles A, O, ou I. «Quand l'un s'arrête, l'autre redémarre, on a du mal à endiguer cette lame de fond qui vous secoue de la tête aux pieds. On revisite les fous rires de notre enfance.» Libérateur d'émotions, exceptionnellement de larmes, ce rire peut durer dix à quinze minutes. Après une courte relaxation, chacun peut partager son ressenti. Marianne se sent allégée de tout son stress, le septuagénaire Georges, si difficile à dérider, en sort ragaillardi. «Le rire des autres me fait du bien", note-t-il. Un aspect bien connu du rire, d'où l'importance de l'exercer collectivement.

Complicité et cohésion

Depuis son lancement à Mumbai en 1995, la pratique du yoga du rire a largement essaimé. Après l'Inde, qui compte quelque 10000 clubs du rire, les États-Unis, suivis du Japon et de l'Allemagne, sont les pays adeptes de la méthode Kataria. En France, où Fabrice Loizeau, un proche du fondateur indien, l'a introduite en 2002, «on compte près de 450 propositions à destination du grand public». Depuis cinq ans, de nouveaux acteurs s'y s'intéressent à commencer par les coaches, ces conseillers à tout faire, et de plus en plus d'entreprises aussi. Orange, Schneider, Kiabi, Sanofi et Groupama... autant de clients séduits par la convivialité, la créativité et l'humanité associées au rire.

Chez Volvo Trucks France, le directeur du marketing Eric Dubois, un bon vivant, a su développer avec son équipe des liens différents grâce au rire. «Cela crée une complicité et une cohésion très forte", constate Vanessa Bourdin, la trentaine avenante. On rit pour rire, il n'y a pas d'enjeux cachés.» Et sa collègue Catherine Petit d'insister: «En cas de situation un peu bloquée, c'est l'équivalent d'une pirouette, une échappatoire positive.» Nul doute que la personnalité du manager y est pour beaucoup comme la composition de son équipe, qui aime bien rigoler.

Marc Loriol, sociologue au CNRS, qui s'est intéressé à l'humour au travail le confirme: «Ceci ne marche que s'il y a déjà une certaine confiance dans le groupe." Car le rire n'est pas toujours bien vu dans l'univers professionnel. Certains le considèrent comme un acte de provocation, de contestation, voire de rébellion.

Mais on peut également, comme le moine Guillaume de Baskerville dans Le Nom de la rose d'Umberto Eco, le voir comme un instrument de vérité et de liberté. Sans mettre le feu à la bibliothèque.


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