Rire & Management
- Le Mer 09 sept 2015
« Le rire est un outil puissant de prévention du stress » Nadia Tebourbi, docteur en sciences de gestion et chercheuse au laboratoire de recherche en management de l'université de Versailles.
- Pourquoi vous êtes-vous intéressée à la pratique du rire d’un point de vue managérial ?
J’enseigne les ressources humaines et je m’intéresse à la problématique du développement personnel. Le fait que de plus en plus de consultants, de coachs, voire de formateurs proposent des méthodologies reposant sur la pratique du rire ne pouvait que m’interpeller en tant que chercheuse. J’ai constaté qu’il existait un tissu important d’espaces de sophrologie ludique, de yoga du rire, de méditation du rire. On recenserait à ce jour plus de 6 000 “clubs de rire” dans le monde. Comment expliquer ce phénomène ? Traduit-il des besoins non satisfaits du côté du management ou des individus dans le cadre de leur vie professionnelle ? Peut-on y trouver des ressorts d’amélioration du bien-être au travail, pourquoi pas de la performance économique des entreprises ? Pour pouvoir répondre à ces questions, je me suis moi-même formée à cette discipline.
- En quoi consiste cette discipline ?
Les séances dispensées dans les clubs certifiés ou par les coachs formés reposent sur des exercices d’autostimulation visant à déclencher le rire dans un cadre collectif favorisant un échange ludique. Cela passe par des techniques de respiration, de méditation, de stimulation du rire et de relaxation. Tout est né d’une thèse développée en 1995 par un médecin généraliste indien, Madan Kataria, qui a fait du rire une discipline gymnastique, reposant sur des exercices à effectuer pour garantir une certaine hygiène de vie. Son approche repose sur un rire simulé, qui ne fait en aucun cas référence aux ressorts de l’humour. Car l’humour est éminemment culturel, donc segmentant. En outre, dans l’humour, on tourne en dérision une situation ou une catégorie d’individus. La méthode développée par Kataria valorise au contraire un rire à la fois universel et bienveillant.
- En quoi cette pratique collective du rire est-elle intéressante dans une logique professionnelle ?
Les effets du rire sur les individus sont aujourd’hui scientifiquement établis. Il est notamment incontestable que le rire réduit l’exposition au risque de stress. Les travaux du neurologue Henri Rubinstein, démontrent notamment trois manifestations physiques du rire : musculaire (le rire fait travailler les muscles du visage jusqu’à la ceinture abdominale), respiratoire, neuro-hormonal (action sur la perception de la douleur, de la mémoire et de l’apprentissage). Les études menées par Sylvie Boisard-Castelluccia et Delphine Van Hoorebeke montrent pour leur part que le rire, en ce qu’il favorise une “contagion émotionnelle positive”, cimente la cohésion d’équipe et encourage l’acceptation de la diversité. D’autres travaux ont permis d’identifier cinq fonctions du rire lors d’une réunion de travail : création d’un climat de travail relaxant, réduction de la tension et de l’asymétrie entre les membres d’une équipe ; validation d’une compréhension commune de la problématique ; diminution du stress ; relégation des situations potentiellement conflictuelles. A partir de ces travaux, on peut poser l’hypothèse que le rire peut agir comme un élément intéressant de gestion du stress et de team building.
- En revanche, les protocoles d’études démontrant les effets du rire sur le bien-être au travail ou la performance sont encore à construire...
C’est vrai. Et c’est dommage car dans un pays cartésien comme le nôtre, seules les données objectivées, quantifiées, seront en mesure de lever les réserves encore très fortes qui pèsent sur ces pratiques : peur du ridicule, peur de la manipulation. Cela dit, la relaxation, la sophrologie se sont longtemps heurtées aux mêmes freins. Pourtant, parce qu’elle libère les individus d’un certain carcan rationaliste et favorise l’expression des émotions, la pratique du rire peut constituer un outil RH intéressant par exemple pour aider les managers à accompagner la conduite du changement dans les entreprises.
Article extrait d’Apec RH #13, le magazine trimestriel de l’Apec aux entreprises.