L'optimisme, ça vaut le coup d'essayer
- Le Lun 14 août 2017
On n'a pas encore découvert le gène de l'optimisme. Mais on sait désormais que cette aptitude peut se travailler. En puisant notamment dans la psychologie positive. Une aubaine! Car voir la vie en rose permet de vivre plus longtemps.
Ne vous plaignez pas en présence de Luc Simonet d'une météo trop maussade. Il vous reprendra aussitôt en affirmant: «C'est une belle journée de pluie."
Cet ancien avocat d'affaires belge n'a d'ailleurs pas hésité, il y a dix ans, à faire imprimer la phrase sur une cinquantaine de parapluies distribués ensuite à ses proches. Un clin d'oeil qui a vite débouché sur la création d'un club assez unique en son genre: la Ligue des optimistes.
L'idée lui est venue pendant une année sabbatique prise à 52 ans pour se «soigner» d'une perte d'enthousiasme au travail. «J'ai vite été submergé par l'impact de mon initiative.»
Aujourd'hui, près de 80000 personnes dans le monde sont abonnées à sa newsletter. Car, depuis 2008, la ligue a fait des petits, de la France aux États-Unis en passant par le Bénin.
Un succès qu'il doit sans doute à son message résolument constructif. «Je ne fais pas dans le «bonheurisme» ou la méthode Coué en prônant un optimisme béat. Bien au contraire. Je défends un optimisme d'action. Subversif, même, quand il s'agit de s'opposer à l'évolution cynique de notre société.»
Parmi ses projets les plus fous, la création d'une école pour responsabiliser les actionnaires et éviter ainsi qu'ils poussent les dirigeants d'entreprise à se comporter comme des «mercenaires». Mais là où Luc Simonet interpelle sans doute le plus, c'est en affirmant que, loin d'être une aptitude congénitale, l'optimisme peut relever d'une décision intérieure. «C'est un postulat", insiste-t-il.
Si c'est le cas, c'est une sacrée bonne nouvelle! Déjà parce que, comme le disait avec humour le défunt Premier ministre israélien Shimon Peres, «si un optimiste et un pessimiste sont condamnés à mourir tous les deux, ils n'auront pas eu la même vie".
De surcroît, sur un plan strictement médical, il est désormais prouvé que les optimistes ont un système immunitaire plus performant, sont moins sujets aux accidents vasculaires cérébraux, ont un taux supérieur de survie après un infarctus et, au final, vivent plus longtemps.
Mais peut-on réellement devenir optimiste? Cette capacité à anticiper un futur plutôt positif relève-t-elle d'une disposition génétique? Ou peut-elle se travailler? Les scientifiques n'ont guère de certitudes en la matière. De fait, on ne sait pas vraiment si nous venons au monde avec un «biais pessimiste», héritage de ce fameux cerveau reptilien chargé de nous prévenir des dangers. Ni pourquoi l'optimisme se manifeste chez les uns plus que chez les autres. «Les études dans ce domaine sont encore assez sommaires et pour la plupart indirectes", confirme le psychiatre Frédéric Fanget. Selon l'une d'entre elles, souvent citée (Sonja Lyubomirsky, 2005), notre niveau de bonheur, que l'on peut raisonnablement classer parmi les déterminants de l'optimisme, serait lié pour 50% à notre capital génétique, pour 10% à nos conditions de vie et pour 40% à des facteurs sur lesquels l'individu pourrait agir. Mais il serait assez hasardeux de donner à ces résultats une valeur universelle.
Si personne ne remet en cause l'idée que nous ne naissons pas tous avec les mêmes dispositions à l'optimisme, la plupart des praticiens préfèrent aujourd'hui insister sur le rôle de l'environnement dans le développement de cette aptitude. «Dès lors qu'il est élevé par des parents gratifiants et qu'il évolue dans un cadre scolaire positif où l'on valorise ses succès, le plus grand des pessimistes à la naissance peut devenir un optimiste convaincu», assure Frédéric Fanget, auteur du best-seller Oser. Thérapie de la confiance en soi(éditions Odile Jacob).
Changer de «style explicatif»
Mieux, on sait aujourd'hui que l'individu possède une marge de manoeuvre pour agir sur son capital génétique. «Pendant longtemps, on a cru que notre ADN déterminait tout, explique le biologiste Philippe Bobola. Puis l'épigénétique (discipline qui étudie les mécanismes moléculaires modulant l'expression du patrimoine génétique en fonction du contexte, NDLR) a mis en évidence que le manchon de protéines qui l'entourait jouait un rôle dans l'activation, voire la mise en sourdine, de nos gènes. Et surtout que l'on pouvait agir dessus notamment via nos pensées.» Les jeux ne seraient donc pas faits une fois pour toutes à la naissance. Nous sommes en partie acteurs de notre biologie. Même si l'on n'a pas encore identifié le gène de l'optimisme, cette découverte apporte de l'eau au moulin de Luc Simonet.
Oui, mais comment s'entraîner à devenir optimiste? Il n'y a pas de recette universelle, bien sûr. Mais les préceptes de la psychologie positive peuvent nous mettre sur la voie. En droite ligne des thérapies comportementales apparues dans les années 50, cette discipline s'est focalisée sur l'étude des «conditions et processus qui contribuent à l'épanouissement et au fonctionnement optimal de l'individu".
Selon son père fondateur, le psychologue américain Martin Seligman, les pessimistes seraient prisonniers d'une sorte «d'impuissance apprise» mais sur laquelle on pourrait agir. La clé: modifier ce que ce thérapeute appelle le «style explicatif» des évènements. Le pessimiste attribue ses échecs à des causes internes, stables et globales. Pour caricaturer, il pense en substance: «Je suis nul et ça ne va pas changer de sitôt.» Et ses réussites sont, au contraire, dues à des causes externes comme la chance. L'optimiste procède de manière diamétralement opposée. Il associe ses échecs à des causes spécifiques et temporaires: «Manque de préparation ou méforme.» Et ses succès à des facteurs pérennes: «Je suis quelqu'un de compétent.» La démarche, on l'a compris, consiste à passer d'un «style explicatif" à l'autre.
Un chemin qui requiert un vrai travail sur soi. Pour sauter le pas, il faut souvent être confronté à un mal-être tenace. L'optimisme n'est pas nécessairement l'objectif recherché au départ, mais la conséquence heureuse, le cadeau, qui attend en bout de parcours. Nombre de ceux qui sont passés par là évoquent un déclic.
Chez Isalou Beaudet-Regen, c'est un cancer du sein déclaré à 29 ans qui a joué ce rôle. «Enfant triste marqué par la solitude, j'ai décidé, suite à cette maladie, de rendre chaque seconde qu'il me restait à vivre gaie et joyeuse", explique cette quinqua qui dirige aujourd'hui une petite agence de communication audiovisuelle. «Le monde n'est pas soudain devenu idyllique, assure-t-elle. Bien au contraire! J'ai en revanche totalement accepté son côté chaotique. Et j'ai surtout compris que, même si on ne maîtrisait rien, on avait toujours le choix d'en rire pour mieux rebondir.» Et de citer la maxime de Winston Churchill: «Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l'opportunité dans chaque difficulté."
Chez Philippe Bobola, le déclic est venu de la compréhension de lois de la nature et singulièrement de l'épigénétique. Ce biologiste - également physicien, anthropologue et psychanalyste - y a trouvé les ressources pour se dégager de la gangue de pessimisme qui l'a longtemps accablé. Une attitude héritée de son père pour qui le monde était dangereux et imposait que l'on reste sur ses gardes. «Via la physique quantique, j'ai réalisé que cette vibration négative se répercutait aussi dans mon environnement, lequel répondait en conséquence. Si vous manifestez de la peur face à un chien, il vous attaquera", résume-t-il. Depuis sa «conversion», il estime qu'il est de notre responsabilité à tous de «rayonner" du positif.
Tenir un journal de «gratitude»
Plus facile à dire qu'à faire! «On n'efface pas quarante années de pessimisme, assure Frédéric Fanget. Les connexions neuronales façonnées par nos comportements restent en place. En revanche, la plasticité du cerveau nous permet d'en susciter de nouvelles." À condition de ne pas se contenter d'un travail d'écoute et de compréhension de soi mais de s'engager dans des actions concrètes.
Isalou Beaudet-Regen s'est imposée de se lever plus tôt chaque matin, notamment pour pratiquer la méditation. «Cela m'a aidée à prendre de la distance avec les événements, à lâcher des tensions et gagner en légèreté, précise-t-elle. Une manière de donner une orientation positive à ma journée." Durant cette parenthèse personnelle, elle fait aussi du sport et s'adonne à l'écriture. Un désir longtemps resté inassouvi d'où est sorti La Magie du matin (Leduc Éditions), ouvrage qui a reçu le prix 2016 de... la Ligue des optimistes.
Cette ancienne «torturée d'esprit" s'est aussi mise à pratiquer le «journal de la gratitude». Autrement dit à se souvenir, le soir venu, de tous les petits moments de bonheur qui ont émaillé sa journée. «C'est un outil puissant d'entraînement cérébral qui permet de modifier notre regard sur l'existence", assure la psychologue Rebecca Shankland. Dans son ouvrage Les Pouvoirs de la gratitude (Odile Jacob), elle rapporte l'expérience réalisée par deux professeurs américains (Emmons et McCullough) sur leurs étudiants en psychologie: ceux-ci ont été répartis en trois groupes auxquels il a été demandé de noter pendant quelques mois, respectivement, cinq évènements négatifs, cinq évènements neutres et cinq évènements positifs survenus au cours de la semaine écoulée. Chacun devait ensuite répondre à des questions sur son état de bien-être. Le groupe des souvenirs positifs est sorti de la période de test avec un niveau de satisfaction et d'optimisme largement supérieur aux deux autres.
Véhiculer des énergies positives
Il n'est pas toujours nécessaire de passer par de longs processus thérapeutiques, donc, pour gagner en optimisme. Pour autant, on s'épargnerait bien du travail en évitant de «fabriquer" des pessimistes. En particulier à l'école.
Les États-Unis forment depuis longtemps des professeurs à la psychologie positive. En France, cela commence à peine. Enseignant-chercheur, Charles Martin-Krumm promeut notamment cette approche à l'École supérieure du professorat et de l'éducation de Rennes. Professeur d'EPS pendant dix-huit ans dans un lycée d'éducation prioritaire, cet ancien champion d'aviron s'est intéressé au sujet en constatant que tous ses élèves n'avaient pas la même capacité de rebond face à un échec. Il en a fait depuis son terrain de recherche. «Il faut former les éducateurs à induire les bons «styles explicatifs» chez les enfants qui ont du mal à suivre", souligne-t-il.
Aujourd'hui président de l'Association française de psychologie positive, il coache des équipes d'aviron et de boxe française et intervient en entreprise, où l'optimisme a fait une entrée remarquée dans la panoplie du «bien-être au travail". «Les managers doivent être attentifs aux messages qu'ils font passer, notamment durant les entretiens de fin d'année», observe-t-il. Car, précise Frédéric Fanget, «si un pessimiste peut devenir optimiste, la réciproque est tout aussi possible, en présence d'un supérieur particulièrement toxique.»
Si l'optimisme plaît aux DRH, c'est aussi parce qu'il permet de véhiculer des énergies positives. Déjà, pas mal de prestataires se sont engouffrés sur ce nouveau marché, proposant toute une série d'outils: du mur de la gratitude aux séances de yoga du rire.
Gare cependant à ne pas trop survaloriser les profils optimistes. Selon Frédéric Fanget, tout est affaire de degré. «Un «pessimiste constructif» peut être beaucoup plus performant dans certaines fonctions liées à la sécurité, par exemple, où l'anticipation des scénarios négatifs est conseillée. En revanche, dans les métiers de vente, mieux vaut s'appuyer sur des «optimistes réalistes»." Dès lors qu'on ne tombe pas dans les extrêmes, chacun a sa place, donc.
Il n'empêche qu'en ces temps de crise, orienter résolument son regard vers ce qui est beau et ce qui marche ne peut que faire du bien.
C'est probablement ce qui explique le succès du Printemps de l'optimisme, qui réunit, depuis trois ans, près de 4500 personnes au Conseil économique, social et environnemental (Cese). Son initiateur, le communicant Thierry Saussez, auteur de nombreux livres sur le sujet, entend lutter par ce biais contre la sinistrose ambiante. «Nous cherchons à rassembler les convaincus, séduire les hésitants et faire douter les opposants", indique celui qui a conseillé une longue série de Premiers ministres. Pour lui, comme pour le président de la Ligue des optimistes, il faut combattre le «cancer» de la victimisation et de la résignation. Leur message commun: osons le pari de l'optimisme. «C'est une vraie option de construction de vie", martèle Philippe Bobola. On n'a rien à perdre à essayer.